C a t h e r i n e   V e r l a g u e t , auteure



La fin d'une liaison

Adaptation du roman de Graham Greene

Mise en scène par Alain Mollot – Théâtre de la Jacquerie en 2008


Nous sommes en 40. Maurice Bendrix aime Sarah passionnément. Mais Sarah est mariée à un diplomate, Henry, pour lequel elle a beaucoup d’affection.

Un jour, alors qu’ils sont à l’hôtel, une bombe explose et Maurice reste coincé sous une porte. Sarah le croit mort et, alors qu’elle n’est pas croyante, se met à prier : elle promet à Dieu de ne plus vivre dans le pêché si seulement il pouvait sauver Maurice.

Maurice ne meurt pas et Sarah se consume sous sa promesse. Doit-elle tenir une promesse faite en un Dieu auquel elle ne croit pas ? Si seulement elle trouvait quelqu’un qui pouvait lui prouver que Dieu n’existe pas. Mais il n’y a pas plus de preuve de la non existence de Dieu que de l’existence de Dieu. Et alors que Maurice se morfond de ne plus avoir de nouvelles de Sarah, Sarah tombe malade…



Mise en scène : Alain Mollot en 2008

(Cette pièce n'est actuellement pas en tournée voir dans les archives)

Extrait

1

Maurice Bendrix est affalé dans son fauteuil. Il se lève, comme très fatigué.

BENDRIX

« Je marchais… » « Je… » « Je... »

Je n’ai jamais utilisé le « je » dans mes romans. Ce « je » qui m’entraîne inéluctablement vers ma pauvre histoire ; vers la haine ; ma haine douloureuse…

Bendrix, maintenant assis à son bureau, chiffonne et jette une feuille de papier à terre.

BENDRIX

« L’homme a des endroits de son pauvre cœur qui n’existent pas encore et où la douleur doit pénétrer pour qu’ils existent… »


On entend la pluie. Bendrix écrit.

1946.

La guerre venait de finir et il pleuvait à verse. Je me dirigeais vers le café du coin quand

Entre Henry, sous son parapluie…

C’était surprenant de voir… Henry… Dans les rues par un temps pareil.

Je pouvais voir à la lueur du réverbère que ses yeux étaient aveuglés par les gouttes d’eau.

Je ne l’avais pas vu depuis… presque deux ans, juin 44.

Bendrix se lève pour regarder passer Henry.

2

Bendrix :

Henry ! J’ai failli ne pas vous reconnaître ! Il y a si longtemps !

Henry 
(avec joie)

Bendrix !

Bendrix :

Où allez-vous comme ça, sous la pluie ?

Henry 
 (l’air perdu)

J’avais besoin d’air frais.

Bendrix :

Comment va Sarah ?

Henry :

Oh ! Elle est sortie pour la soirée !

Bendrix :

Sortie ?

HENRY :

Sortie, oui, quelque part…

Une bourasque de vent entraîne Henry vers le café. 

Henry :

Un verre ?

Bendrix rejoint Henry au café.

Henry :

Il y a longtemps que je ne vous avais pas vu, Bendrix.

Bendrix :

N’avait-t’il jamais rien vu d’étrange à ce que du jour au lendemain, je disparaisse de leur vie ? Ne lui était-il jamais venu à l’idée de demander de mes nouvelles à Sarah ou pourquoi je ne venais plus ?

(à Henry) Sarah est peut-être au cinéma ?

Henry :

Oh ! Non ! Elle n’y va pratiquement jamais.

Bendrix :

                   Elle aimait ça pourtant !

Henry, décontenancé par la remarque de Bendrix, regarde autour de lui à la recherche d’un endroit où poser son chapeau.

Henry :

Un endroit pittoresque !

Bendrix :

Vous prenez ?

Henry :

Un whisky.

Bendrix :

Ah ! Je vous accompagnerais volontiers ! Mais nous devrons nous contenter de rhum : le whisky est rationné.

Je n’aurais probablement jamais rencontré Henry -et Sarah- si je n’avais pas, au début de 1939, commencé un roman dont un des personnages principaux devait être un ridicule mais haut fonctionnaire civil censé apporter un élément comique à mon histoire.

Henry
(apréciant le rhum)

Hum !

Bendrix :

Henry était un sous-secrétaire du ministre des pensions de guerre. Pour construire mon personnage, j’avais besoin de savoir à quelle heure il prenait son petit-déjeuner ? S’il prenait le métro ? …

Henry 
(montrant le rhum)

Le rhum, c’était une bonne idée !

Bendrix :

Avait-il une serviette en cuir ? Etait-elle neuve ou usée ?

(à Henry) Votre noël s’est bien passé ?

Henry :

Bien ! Très bien !

Bendrix :

Et Sarah alors, comment va-t-elle ?

Henry :

Bien ! Très bien !

Bendrix :

Jamais nous n’avions rien eu d’autres à nous dire que des banalités.

Par provocation, pour soit-disant détendre l’atmosphère

Vous savez ce qu’il y a écrit, dans les toilettes de ce café ?

Henry secoue la tête.

Bendrix :

« A tous les maquereaux et à toutes les putes, une bonne chtouille et une bonne bléno ! » ( rire un peu vulgaire de Bendrix)

           Henry
La jalousie est une chose affreuse.

Bendrix :

Vous voulez parler des putes ?

Henry :

Quand on est malheureux, on envie le bonheur des autres !

BENDRIX :

J’aurais aimé, tellement aimé le savoir malheureux deux années auparavant ! Et pourtant…

(à Henry) Vous êtes malheureux, Henry ?

Henry :

Je suis inquiet.

Bendrix : 

Soupçonnait-il tout ce que je savais ? Je savais, par exemple, qu’il avait un grain de beauté à gauche du nombril parce que sur mon propre corps, une marque de naissance l’avait un jour rappelé à Sarah.

Henry :

Je ne peux pas vous parler ici, Bendrix, allons chez moi, voulez-vous ? Allons dans mon bureau.